1. Certains lieux-communs ont la peau dure. Parmi ceux-ci, il est encore usuel de présenter le système français de l’insolvabilité, à l’opposé d’autres systèmes, comme un système favorable (entendre trop favorable) au débiteur, au détriment des créanciers privés, ce que l’on traduit usuellement par la formule anglo-saxonne de debtor-friendly system.
Quelques décisions récentes permettront, si cela est encore nécessaire, de relativiser ce propos et rationaliser le discours.
Ces décisions portent sur les conditions d’adoption du plan de sauvegarde et sonnent d’ailleurs comme autant de mises en garde contre les éventuelles tentatives de « passage en force » que pourraient parfois envisager certains débiteurs.
On sait, en effet, qu’aux termes de l’article L. 626-1 du Code de commerce, lorsqu'il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, le tribunal arrête dans ce but un plan qui met fin à la période d'observation.
En sauvegarde, ce plan est établi par le débiteur, avec le concours de l'administrateur (C. com., art. L. 626-2). Le projet de plan doit alors déterminer les perspectives de redressement en fonction des possibilités et des modalités d'activités, de l'état du marché et des moyens de financement disponibles. Il définit, notamment, les modalités de règlement du passif et les garanties éventuelles que le débiteur doit souscrire pour en assurer l'exécution.
Or, le passif qui doit être pris en compte pour établir la faisabilité du plan n’est pas celui choisi par le débiteur, sur la base d’une appréciation subjective de son endettement, mais celui déclaré par ses créanciers.
2. Tel est le rappel opéré récemment par la Cour d’appel de Paris en des termes on ne peut plus clairs : « si, en application de l’article L. 626-21 du Code de commerce, l’inscription d’une créance au plan ne préjuge pas de son admission définitive au passif et si les sommes à répartir correspondant aux créances litigieuses ne sont versées qu’à compter de leur admission définitive au passif, le plan de sauvegarde doit néanmoins prévoir le règlement de toutes les créances déclarées, même si elles sont contestées, peu important leur caractère exigible ou non » (CA Paris, 12 avril 2018, n° 17/11357).
Or, c’est parce qu’ils ne répondaient pas à cet impératif essentiel que certains plans de sauvegarde dans des affaires d’envergure ont récemment été rejetés, en cause d’appel, ce qui est suffisamment rare pour être souligné.
La première affaire concerne les procédures de sauvegarde des sociétés FIBT, GBT et Dolol, surtout connues pour leurs actionnaires, les époux Tapie (CA Paris, 12 avril 2018, préc. ; CA Paris, 4 mai 2018, n° 17/11353).
Dans ces espèces, la Cour d’appel de Paris était saisie par un appel du parquet qui s’était opposé à l’adoption des plans de sauvegarde de ces trois sociétés, détenant les titres de participation dans le journal La Provence et un actif immobilier de prestige.
La Cour s’est prononcée « sur la pertinence du plan proposé [par les sociétés] pour assurer leur sauvegarde, tout en réglant leurs créanciers ».
La Cour relève que, s’il existe des contestations importantes du passif, pour autant, « un plan de sauvegarde, n'ayant pas vocation à suspendre purement et simplement, pendant sa durée, le paiement des créances, doit définir les modalités de règlement progressif du passif dans la limite de temps fixée par la loi, le projet d'apurement devant répondre à l'exigence d'une probabilité sérieuse d'exécution. Il convient donc de rechercher si, concrètement, le plan soumis à la cour peut raisonnablement être mis à exécution, et ce dès sa première échéance, à horizon d'un an, sachant qu'il n'est financé par aucune cession d'actif ».
Après avoir relevé, au vu des éléments qui lui étaient remis, que « la probabilité d'exécution du plan » n'apparaissait pas sérieuse, la Cour d’appel infirme donc les jugements du Tribunal de commerce de Paris et rejette les plans de sauvegarde des sociétés FIBT, GBT et Dolol.
3. Dans une affaire tout aussi médiatique, c’est le plan de sauvegarde de la société Sequana qui a cette fois-ci été rejeté par la Cour d’appel de Versailles, saisie sur appel de créanciers ayant initialement formé tierce-opposition (CA Versailles, 18 sept. 2018, n° 17/08963).
Accueillant la tierce-opposition formée par deux créanciers de la société Sequana, à savoir les sociétés BAT et BTI, la Cour d’appel de Versailles a considéré que : « Le plan de sauvegarde doit prévoir le règlement de toutes les créances déclarées, même si elles sont contestées, peu important leur caractère exigible ou non et les chances de succès de la contestation élevée par le débiteur ».
Le plan arrêté par le Tribunal de commerce de Nanterre prévoyant le règlement en dix ans de la créance desdites sociétés définitivement admise et non de leur créance déclarée, il ne répondait pas « aux exigences légales qui imposent qu'un plan de sauvegarde prévoit le règlement de toutes les créances déclarées ». La Cour a par conséquent infirmé le jugement du Tribunal de commerce et rejeté le plan de sauvegarde de la société Sequana.
Cette exigence de crédibilité du plan, trop souvent négligée par le passé, ne pourra que satisfaire les créanciers financiers.