Après deux ans d'incertitude, les amateurs de cuisine végétale peuvent enfin se réjouir : les dénominations type « steaks de soja », « bacon de maïs » ou autres « saucisses de lentilles » vont faire leur retour dans les rayons des supermarchés français. Les tentatives du législateur français d'interdire l'utilisation de termes d’origine animale pour désigner des produits d'origine végétale ont été suspendues à deux reprises par les tribunaux français, et ces nouvelles dispositions risquent désormais d'être totalement annulées suite à la décision récente de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
En juin 2020, la France a adopté la loi n° 2020-699 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires. Cette loi impose un étiquetage clair, précis et accessible pour informer les consommateurs sur l'origine, les méthodes de production et l'impact environnemental des produits alimentaires.
Codifiée à l'article L. 412-10 du code de la consommation, la loi interdit spécifiquement l'utilisation de noms traditionnellement utilisés pour des aliments d'origine animale (comme «steak » ou « saucisse ») pour des produits contenant des protéines végétales, notamment afin d’éviter la confusion des consommateurs quant à la composition de ces aliments.
Le décret (n° 2022-947) du 29 juin 2022 vise à interdire l'utilisation de termes tels que « steak » ou « bacon » pour les aliments d'origine végétale, en établissant un seuil pour la quantité de protéines végétales qui déclencherait l'interdiction, et en fixant des sanctions en cas de non-respect.
À la suite de la publication du décret, le consortium Protéines France a contesté sa légalité devant le Conseil d'État, arguant qu'il violait le règlement (UE) n° 1169/2011 (règlement INCO), qui vise à harmoniser l'étiquetage des denrées alimentaires et à prévenir la confusion chez les consommateurs.
Le 27 juillet 2022, le Conseil d'État a suspendu le décret et, en juillet 2023, il a soumis des questions préjudicielles à la CJUE, visant à savoir si le droit de l'UE empêche les États membres d'adopter des règles nationales interdisant les termes d'origine animale pour les produits d'origine végétale.
Les deux questions principales posées à la CJUE concernaient l'interprétation du règlement INCO:
C'est sur ces points que la CJUE a récemment eu à se prononcer (voir ci-dessous).
Malgré le renvoi préjudiciel encore pendant devant la CJUE, le législateur français a publié un nouveau décret en février 2024, presque identique à celui de 2022 suspendu.
Comme décrit plus en détail dans notre article relatif à l'épisode précédent de cette saga, le nouveau décret interdit à nouveau l'utilisation de termes tels que « steak » et « filet » pour les produits à base de plantes.
Toutefois, le nouveau décret ne s'applique qu'aux produits fabriqués en France. Il n'empêche donc pas la commercialisation en France de produits légalement fabriqués dans d’autres États membres de l'UE ou dans des pays tiers, même s'ils ne répondent pas aux restrictions du décret. Malgré cela, le décret a suscité une vive opposition. Des parties prenantes telles que l'Alliance européenne pour les aliments d'origine végétale et l'Union végétarienne européenne ont dénoncé la création de barrières commerciales et l’entrave à la concurrence.
En avril 2024, à la suite des recours déposés par les entreprises concernées, le Conseil d'État a suspendu l’application de ce nouveau décret (décision).
Le 4 octobre 2024, la CJUE a dit pour droit que la France ne pouvait pas interdire l'utilisation de termes d'origine animale pour désigner des produits d'origine végétale, à moins qu'une désignation légale spécifique pour les protéines d'origine végétale ne soit établie.
En interprétant les articles 7, 9 et 17 du règlement INCO, la Cour a mis l'accent sur trois principes essentiels en matière de dénomination des produits :
La Cour a ensuite souligné que les États membres ne peuvent pas interdire de manière générale des dénominations descriptives telles que « steak végétal » en l'absence de dénomination légale.
Elle a précisé que bien que les États membres puissent sanctionner le non-respect de la réglementation alimentaire, ils ne peuvent pas imposer de seuils pour les protéines végétales en vue de restreindre l’utilisation de termes liés à la viande, car cela reviendrait à contourner les règles de l’UE.
À la suite de la décision de la CJUE, la France devra soit renoncer à interdire l’utilisation de ces termes, soit créer des dénominations spécifiques pour les produits d'origine végétale. Le Conseil d'État n'a pas rendu de décision, mais il est probable que l’arrêt de la CJUE entraînera l'annulation du décret 2022-947. Le débat autour de la transparence dans l'étiquetage alimentaire reste ouvert, et l'avenir des produits végétaux sur le marché français est encore en jeu.
L'arrêt de la CJUE marque une victoire importante pour les producteurs d'aliments d'origine végétale, car il garantit que des termes comme « bacon végétal » peuvent être utilisés. Toutefois, le chemin est encore long, et les défis liés au positionnement et à la communication des produits à base de plantes demeurent nombreux. Notre équipe d'experts en droit alimentaire est prête à offrir des conseils spécialisés et un accompagnement sur mesure pour aider à naviguer dans cet environnement en constante évolution.