Loi SREN : nouvelle définition et nouveau régime pour les « jeux à objets numériques monétisables » dits « JONUM »

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Cathie-Rosalie Joly

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France

Je suis associée du département Banque Finance et du département Tech & Comms, en charge du pôle Fintech. Basée à Paris, je suis inscrite aux barreaux de Paris, de Bruxelles (Liste E). J'interviens tant en conseil qu'en contentieux réglementaire.

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Aurélien Attali

Associate
France

Je suis avocat au sein du département Fintech à Paris et assiste principalement les acteurs du secteur bancaire et financier sur les aspects règlementaires de leurs activités.

La loi SREN (Sécurité et Régulation des Espaces Numériques) adapte le droit français aux exigences du Digital Services Act, du Digital Markets Act et du Data Governance Act. Parmi les innovations mises en place par cette loi, ses articles 40 et 41 définissent et créent un régime juridique nouveau pour les « jeux à objets numériques monétisables » dits « JONUM ». 

Le législateur français s’est doté, dans une démarche innovante, d’un nouveau régime distinct de celui des jeux d’argent en ligne et a apporté une définition légale inédite à ces nouveaux types de jeux. 

I - La consécration d’une définition légale des JONUM

La loi SREN introduit un cadre expérimental de trois ans, permettant l’exploitation de JONUM définis à l’article 40 I. comme étant « des jeux proposés par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne qui permettent l'obtention, reposant sur un mécanisme faisant appel au hasard, par les joueurs ayant consenti un sacrifice financier, d'objets numériques monétisables, à l'exclusion de l’obtention de tout gain monétaire, sous réserve que ces objets ne puissent être cédés à titre onéreux, directement ou indirectement par l'intermédiaire de toute personne physique ou morale, ni à l'entreprise de jeux qui les a émis, ni à une personne physique ou morale agissant de concert avec elle ».

Les JONUM ainsi définis sont l'un des aspects novateurs de la loi SREN. En effet ces jeux, couramment désignés sous le nom de "play-to-earn" ou "jeux blockchain", offrent aux joueurs la possibilité de remporter ou d'acquérir, via un mécanisme faisant appel au hasard, des objets numériques qui peuvent être échangés contre de l'argent réel.
On peut donc considérer que ces JONUM se situent entre les services sur cryptoactifs et les jeux d’argent et de hasard.

L’article 40 I. donne par ailleurs une définition des objets numériques monétisables (« ONUM »), qui sont les éléments de jeu qui confèrent aux seuls joueurs un ou plusieurs droits associés au jeu et qui sont susceptibles d'être cédés, directement ou indirectement, à titre onéreux, à des tiers. Il est précisé que ces objets sont qualifiés de monétisables car ils peuvent être vendus à des tiers, notamment par le biais de plateformes d’échange. Il est interdit de céder ces objets contre rémunération à l'entreprise de jeux qui les a émis ou à toute personne collaborant avec elle. En effet, l’article 41 IV. interdit expressément à une entreprise de JONUM d’acquérir directement ou indirectement à titre onéreux les ONUM qu’elle a émis.

NB : Cette nouvelle règlementation s’inscrit aussi dans une démarche de rationalisation de l’usage de l’argent dans le cadre des jeux vidéo. Les ONUM pouvant être obtenus sur la base d’un mécanisme faisant appel au hasard, par des joueurs ayant consenti à un sacrifice financier, il peut être utilement rappelé que le Bureau Européen des Unions de Consommateurs (« BEUC »), organisme qui regroupe plusieurs dizaines d’associations de consommateurs européennes, a émis en septembre 2024 des recommandations au sujet des achats effectués dans le cadre de jeux vidéo.
En effet, ces recommandations visent à offrir aux joueurs un meilleur contrôle des transactions effectués au moyen de « In-game and in-app premium currencies », c’est-à-dire de devises virtuelles rendues disponibles dans le jeu contre de l’argent réel, et à offrir une meilleure lisibilité sur le prix réellement supporté pour ces transactions.

Enfin, un décret en Conseil d'Etat non encore paru, qui sera pris après avis de l'Autorité nationale des jeux (« ANJ ») et après consultation des associations représentatives des élus locaux et des filières du jeu d'argent et de hasard et du jeu vidéo, déterminera les catégories de JONUM autorisés, ainsi que les conditions dans lesquelles, à titre dérogatoire, d'autres récompenses que les ONUM pourront être attribuées par les entreprises de JONUM, à titre accessoire. Ce décret précisera la nature de telles récompenses accessoires, mais la loi précise d’ores et déjà qu’il ne pourra pas s’agir de récompenses en monnaie ayant cours légal, et que l’attribution de celles-ci sera plafonnée pour l’ensemble des participants à un montant qui ne pourra être supérieur à 25% du chiffre d’affaires issu de l’activité de JONUM pour l’année civile.

II - Le régime applicable aux JONUM

A - La mise en place obligatoire de mesures de protection des joueurs

Afin d’encadrer ces nouveaux dispositifs, la loi SREN établit des règles rigoureuses afin de prévenir les pratiques pouvant présenter des risques qui pourraient découler de l’exploitation commerciale de ces types de jeux.

En effet, l’Association Addictions France a estimé à cet égard qu’en combinant l’univers des jeux vidéo et les mécanismes des jeux d’argent et de hasard, les JONUM présentent des risques d’addiction, en particulier pour les adolescents et jeunes adultes en quête de gains, avec des pratiques commerciales très contestables (bonus pour jouer, promesses de forts gains, belles publicités etc.).

La loi impose donc aux entreprises de JONUM, c’est-à-dire les développeurs de ce type de jeux qu’ils s’assurent de l'intégrité, de la fiabilité et de la transparence des opérations de jeu et de la protection des mineurs. Les développeurs de JONUM sont contraints de veiller à interdire le jeu aux mineurs et prévenir le jeu excessif ou pathologique, les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

En particulier, il est attendu que la participation des mineurs, même émancipés, à ce type de jeux soit empêchée, au moyen d’un dispositif de vérification de l’âge, et qu’un message avertissant que le jeu est interdit aux mineurs soit présenté sur l’interface de jeu.

Aucune communication commerciale sur les JONUM ne doit être adressée aux mineurs et s’il est fait recours à des « influenceurs », cela ne doit être rendu possible que sur les plateformes en ligne offrant la possibilité technique d'exclure de l'audience dudit contenu tous les utilisateurs âgés de moins de dix-huit ans.

NB : L'ARCOM a récemment proposé un système de vérification de l'âge par carte bancaire pour les sites pornographiques afin de protéger les mineurs. Cependant, la Fédération bancaire française (FBF) s'oppose à cette méthode, la jugeant inefficace et dangereuse. Selon la FBF, cette solution ne parviendrait pas à empêcher les mineurs d'accéder à ces sites, car 1,4 million de mineurs possèdent une carte bancaire. De plus, la FBF souligne les risques d'hameçonnage des cartes bancaires sur des sites peu fiables.

A noter par ailleurs que depuis le 11 janvier 2025, par application d’autres dispositions de la loi SREN et d’un référentiel technique élaboré par l’ARCOM le 11 octobre 2024 après avis de la CNIL les plateformes pornographiques accessibles en France doivent se confirmer à une obligation de vérification de l’âge selon un principe dit du « double anonymat », i.e. au moment de la connexion, l’utilisateur devra se soumettre à une vérification d'identité via une plateforme externe, qui transmettra ensuite l'information au site pornographique. Si cette obligation ne s’applique qu’aux plateformes pornographiques pour l’instant elle peut influencer les obligations qui s’appliqueront pour les autres acteurs en ligne dont l’accès devrait être restreint au nom de la protection de la jeunesse en application d’autres dispositions de la loi SREN.

Par ailleurs, l’entreprise de JONUM devra mettre en place des mécanismes d'auto-exclusion et des dispositifs d'autolimitation des dépenses et du temps de jeu, afin de prévenir les comportements de jeu excessif ou pathologique des joueurs, et s’abstenir d’adresser toute communication commerciale aux titulaires de comptes concernés par une mesure d’auto-exclusion applicable aux jeux qu’elle exploite.

La loi interdit également à toute entreprise de JONUM ainsi qu'à toute personne physique ou morale agissant de concert avec elle de consentir aux joueurs, ou de mettre en place directement ou indirectement des dispositifs permettant aux joueurs de s'accorder entre eux, des prêts en monnaie ayant cours légal ou en actifs numériques.

L’article 41 de la loi SREN dispose aussi que des obligations sont imposées aux entreprises de jeux à objets numériques monétisables en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en application des articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier. Toutefois, la mise en place de ce dispositif est reportée, les entreprises ayant 18 mois pour se conformer à la loi à compter de la promulgation de cette dernière, soit jusqu’au 21 novembre 2025.

Enfin, la loi précise par ailleurs que toute publicité par quelque moyen que ce soit, en faveur d'un site proposant au public une offre de JONUM illégale est punie d'une amende de 100 000 euros. Le tribunal peut porter le montant de l'amende au quadruple du montant des dépenses publicitaires consacrées à l'activité illégale.

Un décret en Conseil d'État, élaboré en collaboration avec l'ANJ et les acteurs du secteur, est attendu pour définir les contours précis de l'application de ces nouvelles règles.

B- Un régime renforcé pour les secteurs du sport et des courses hippiques

La loi SREN impose des règles strictes pour les jeux à objets numériques monétisables liés aux secteurs des compétitions ou des manifestations sportives et des courses hippiques, deux domaines sensibles en raison des risques accrus de conflits d’intérêts, de manipulation des résultats et d’utilisation d’informations privilégiées. Ces règles visent à préserver l’intégrité des compétitions et des événements.

Les participants directs aux compétitions, qu’il s’agisse de sportifs, de jockeys ou d’entraîneurs, ne peuvent acquérir ni céder des objets numériques associés à leurs propres événements, même par personne interposée. La communication d’informations privilégiées est également interdite. Les fédérations sportives et les entreprises organisatrices de courses hippiques doivent adopter des mesures pour interdire la participation de leurs membres à ces jeux, sous peine de sanctions.

Pour les jeux basés sur des courses hippiques, des contrats spécifiques doivent être conclus avec les sociétés de courses autorisées, garantissant que l’utilisation des données respecte les obligations de service public, sans clause d’exclusivité.

C- Le rôle de l’ANJ pour assurer le respect de ce régime

Aux termes de l’article 41 de la loi SREN, les entreprises de jeux à objets numériques monétisables devront obligatoirement se déclarer préalablement à l’ANJ. L’ANJ définit les modalités de dépôt et de gestion de cette déclaration et doit être informée sans délai de toute modification substantielle dans les opérations de jeu.

Les entreprises de jeux à objets numériques monétisables seront autorisées par l’ANJ seulement si elles respectent certaines conditions et procédures qui seront précisées dans un décret en Conseil d’Etat pris après avis de l'ANJ et après consultation des associations représentatives des élus locaux et des filières du jeu d'argent et de hasard et du jeu vidéo.

Seules sont permises les activités des entreprises proposant au public des JONUM ayant leur siège social établi soit dans un Etat membre de l'Union européenne, soit dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. L'entreprise qui n’a pas son siège social en France devra alors désigner la ou les personnes, domiciliées en France, qui en sont responsables.

Par ailleurs, l’ANJ sera compétente pour contrôler le respect de ces obligations en adaptant l’intensité et la fréquence de ses contrôles en fonction des risques identifiés. Les entreprises doivent fournir à l’ANJ des données sur les activités de jeu et les opérations financières afin d'assurer la conformité. L’article 41 de la loi SREN la dote de pouvoir étendus pour notamment recueillir toute information ou tout document nécessaire pour effectuer ses contrôles sans que le secret professionnel ne puisse lui être opposé.

La Commission des sanctions de l’ANJ pourra prononcer des sanctions en cas de contravention aux dispositions de la loi SREN relative à l’offre de JONUM. Les sanctions pour offre illégale de JONUM incluent des peines pouvant aller jusqu'à 3 ans de prison et 90 000 euros d'amende. Des sanctions financières peuvent également être imposées, représentant jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires de l'opérateur. 

En conclusion, la loi SREN introduit une réglementation novatrice pour JONUM, répondant à un objectif croissant de sécurité et de transparence dans l’économie numérique. En offrant un cadre légal distinct de celui des jeux d’argent en ligne, cette législation vise à encadrer l’utilisation de mécanismes d’acquisition d’objets monétisables et à protéger les utilisateurs, notamment les jeunes, contre les risques d’addiction et d’exploitation commerciale abusive.

Cependant, certains aspects de ce nouveau régime doivent encore être précisés par voie réglementaire. Ces précisions permettront de compléter le cadre posé par la loi SREN et de garantir une mise en œuvre conforme aux exigences fixées.

Notre équipe spécialisée se tient à votre disposition pour toute question relative à la conformité de votre offre à ce nouveau dispositif et vous accompagner dans les démarches.

Article écrit avec la collaboration de Chadlia Ben Abdellatif

 

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