Souvenons-nous que tout fichier créé, et ce même en temps de crise, ne doit permettre de collecter que des données adéquates et pertinentes conformément au RGPD. De plus, ces données doivent respecter le principe de minimisation, ce qui veut dire que seules les données nécessaires doivent être collectées.
En pleine crise sanitaire actuelle et alors que les annonces sur la fin du confinement se multiplient pour décaler cette date tant attendue, les employeurs sont contraints de se réorganiser et de s’interroger sur la suite à donner à leur activité. Dans ce contexte particulier et alors que la pérennité de l’activité économique des entreprises est remise en cause, l’une des questions centrales que se posent aujourd’hui les employeurs est la suivante : le personnel peut-il poursuivre son travail, à distance dans les cas où le télétravail est possible ou sur site, lorsque le télétravail n’est pas possible et que l’entreprise n’est pas fermée ? Dans le cas où la réponse est négative, le placement en chômage partiel devient alors l’option envisagée.
Ce changement d’organisation entraîne ainsi la création de nouveaux fichiers afin de savoir quels salariés seront mis en activité partielle, de suivre la mise en chômage partiel et de pouvoir déclarer un nombre total d’heures chômées. Ces fichiers portent, par exemple, sur l’identité du salarié concerné, son service, son supérieur hiérarchique et il arrive qu’ils contiennent également une colonne « commentaires » ou « justification de la mise en chômage partiel » pour tel ou tel salarié.
LES RISQUES DE DERIVES POSSIBLES
Or, si l’employeur a le droit de ne placer qu’une partie de ses salariés en activité partielle, son choix doit se fonder sur des critères objectifs et bien entendu non discriminatoires.
La mise en activité partielle doit concerner l’ensemble des salariés, ou alors des groupes de salariés placés dans la même situation professionnelle avec les mêmes contraintes visà-vis de l’activité partielle.
Afin d’évaluer s’il faut recourir à l’activité partielle, il ne s’agit donc pas de mesurer le travail effectué par chaque employé pris individuellement.
L’existence de zones de commentaires dans les fichiers peut engendrer un risque de dérive, car leur contenu peut aboutir à une évaluation individuelle du salarié revenant à juger, par exemple, le travail effectué en télétravail depuis le début du confinement. Les employeurs doivent donc être vigilants lors de l’établissement de ce type de fichiers, et ne pas oublier les fondamentaux en matière de protection des données à caractère personnel, notamment dans l’utilisation des zones de commentaires libres.
Dans sa fiche « Recrutement et Gestion du Personnel » mise en ligne sur son site, la Cnil souligne dans un encadré que « les “zones commentaires” qui enregistrent des appréciations d’un employeur sur ses employés ne doivent comporter que des éléments pertinents et non excessifs. Les employés ont le droit d’y accéder ». En effet, la Cnil est attentive à ces zones de commentaires libres/ textes libres et ne manque pas, lors de ses contrôles, de vérifier ce point. Tel a par exemple été le cas, en novembre dernier, dans sa délibération n° SAN2019-010 du 21 décembre 2019 visant Futura Internationale. Dans cette délibération, elle relève que des commentaires excessifs concernant les clients ont été saisis dans le logiciel de gestion de la clientèle. Ou encore dans sa mise en demeure à l’encontre de l’école 42 en octobre 2018 (n° MED2018-041, 8 oct. 2018) qui pointe la saisie de commentaires disproportionnés au regard de la finalité de gestion des étudiants.
DE LA BONNE UTILISATION DE LA ZONE DE TEXTE LIBRE
La bonne pratique consiste donc, si possible, à renoncer, compte tenu des risques, à l’utilisation d’une zone de texte libre, ou à tout le moins, de veiller à ce que les commentaires saisis restent factuels et objectifs, ou encore d’adopter des menus déroulants qui limitent ainsi la nature des informations susceptibles d’être saisies.
Rappelons également que comme l’indique la Cnil et conformément au RGPD, toute personne peut exercer son droit d’accès à ses données dans les traitements qui la concernent, et que les salariés ont donc le droit, s’ils le demandent, de prendre connaissance des informations renseignées à leur propos, y compris dans les champs libres. Aussi, une autre bonne pratique consiste à se mettre à la place de la personne concernée pour s’assurer que le commentaire ne soulèverait pas de difficultés si le contenu de ce commentaire venait à lui être communiqué.
Enfin, comme pour tout fichier constitué en cette période de crise, il convient de se poser la question des limites de la durée de conservation des données qui y figurent, conformément au RGPD et à la loi informatique et libertés, et donc de leur suppression une fois la crise passée : c’est aussi une des difficultés de l’exercice, car l’un des problèmes du texte libre au regard des règles de protection des données personnelles réside justement dans le défaut d’effacement des données qui y sont inscrites.
Article publié dans la Semaine sociale Lamy n°1903-1904 du 14 avril 2020.