Le 24 septembre dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a publié des sanctions financières prononcées à l’encontre de onze entreprises pharmaceutiques, pour un montant cumulé de 8 millions d’euros.
Ces décisions sont motivées par le non-respect de l’obligation de constituer un stock minimum de sécurité pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM).
Qu’est-ce que l’obligation de stock de sécurité ?
Pour rappel, les entreprises pharmaceutiques sont soumises à l’obligation de constituer un stock de sécurité de médicaments destiné au marché national (décret n° 2021-349 du 30 mars 2021). Ce stock ne doit pas excéder une couverture de quatre mois des besoins en médicaments, avec des variations selon la catégorie des médicaments. Pour les MITM, la durée minimale est fixée à deux mois, pouvant être portée à quatre mois en cas de ruptures ou de risques de rupture réguliers. À ce jour, 748 MITM sont couverts par l’obligation de constituer un stock de sécurité de quatre mois.
Une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 1er mars 2024, vise à renforcer ces exigences, en augmentant les seuils minimaux et maximaux des stocks de sécurité à constituer1.
Le pouvoir coercitif de l’ANSM illustré par des sanctions sévères
Le nombre de sanctions prononcées par l’ANSM (33 décisions), ainsi que le montant cumulé des amendes infligées à l’encontre des laboratoires pharmaceutiques, sont sans précédent.
Il est légitime de se demander si l’ANSM n’a pas souhaité répondre aux observations de la commission d'enquête du Sénat qui, dans son rapport publié le 4 juillet 2023 sur la pénurie des médicaments, déplorait que « les pouvoirs de sanction de l'ANSM sont trop peu exploités : l'Agence n'a pris que huit décisions de sanctions financières entre 2018 et 2022, pour un total de 922 000 euros. Aucune n’a été prise pour le motif d’une violation des obligations […] de constitution d’un stock de sécurité » . D’autant plus que ces sanctions interviennent dans un contexte globalement moins critique, caractérisé par une réduction notable des ruptures de stock (-42 % au cours des huit premiers mois de 2024 par rapport à la même période en 2023), ainsi que des risques de rupture (-21 %)2 .
Parmi les laboratoires sanctionnés, l'amende la plus élevée atteint 4 millions d'euros3 .
Avec la proposition de loi en cours d’examen au Sénat, ces montants pourraient être encore plus importants à l’avenir. En effet, le texte prévoit de faire passer le plafond des sanctions à 50 % du chiffre d'affaires réalisé sur le médicament concerné, avec un maximum de 5 millions d'euros.
Les sanctions financières : une réponse appropriée et suffisante ?
Pour l’ANSM, ces sanctions ne sont qu’un outil parmi d’autres pour lutter contre les ruptures de stock, et ne suffisent pas à elles seules à endiguer le phénomène.
Le LEEM, l’organisation professionnelle des entreprises du médicament en France, considère que ces sanctions, tout comme l’obligation qui en est l’objet, ne sont pas appropriées et peuvent mettre en péril le maintien de l’exploitation de certains produits. Elle rappelle également que les pénuries de médicaments ne concernent pas un seul acteur de la chaîne de distribution du médicament. Il serait donc nécessaire de prendre en compte une diversité de facteurs et d’acteurs, ainsi que la dimension internationale de la production de médicaments.
Le LEEM souligne également que le problème doit être traité à l’échelle européenne, et non uniquement nationale .
Conclusion
Les sanctions financières récemment prononcées par l’ANSM représentent un tournant dans la lutte contre les pénuries de médicaments en France, marquant une première par leur ampleur. L’adoption de la proposition de loi en cours d’examen pourrait renforcer les obligations en matière de stocks de sécurité et accroître le pouvoir coercitif de l’ANSM.
Cependant, plusieurs acteurs du secteur pharmaceutique estiment que cette réponse n'est ni adaptée ni suffisante face au phénomène des ruptures.
Dès lors, il convient de questionner ce durcissement manifesté à l'encontre des entreprises pharmaceutiques, et de s’inquiéter du fait qu’il pourrait aggraver les difficultés du secteur et potentiellement entrainer davantage de ruptures que celles observées actuellement.
______________________________________
1 - Voir notre article en date du 25 janvier 2024 pour une analyse détaillée
2 - Réaction du Leem à la déclaration de l'ANSM sur les sanctions financières
3 - Sanctions financières consécutives au contrôle de 2023 sur les stocks de sécurité à 4 mois
Avec la contribution de Nahla Ghouali