Le contrat de travail conclu entre un employeur marocain et un salarié étranger est-il un contrat à durée déterminée ou à durée indéterminée ? Les contrats de travail conclus avec des étrangers sont obligatoirement soumis à un visa de l’autorité gouvernementale chargée du travail en application de l’article 516 du code de travail. Ledit visa est toutefois généralement octroyé pour des durées allant d’un à deux ans, avec possibilité de prorogation, et ce même lorsque les parties ont entendu conclure un CDI.
Il en résulte qu’en cas de rupture du contrat par l’employeur, la question se pose de savoir si ledit contrat est un CDD ou un CDI. En d’autres termes, le fait que le visa de l’autorité gouvernementale soit limité dans le temps a-t-il pour conséquence de qualifier de CDD tous les contrats conclus avec des étrangers ? Cette question présente un intérêt pratique majeur en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Le calcul des indemnités de licenciement étant significativement différent selon qu’on se place dans le cadre d’un CDD ou d’un CDI. Tandis que le CDI donne droit à des indemnités de licenciement calculées notamment en fonction de l’ancienneté du salarié au sein de l’entreprise et permettant une compensation du dommage subi suite à cette rupture abusive, la rupture d’un CDD ne va donner droit qu’au paiement des salaires dus jusqu’à la fin initialement envisagée dudit CDD.
La réponse à cette question a, pendant longtemps, été affirmative par les tribunaux marocains qui qualifiaient de CDD les contrats conclus avec des étrangers. Cela a été confirmé à plusieurs reprises par la Cour de cassation (ex. Cass. 741 du 19/03/2015).
Or, cette jurisprudence se heurtait à plusieurs principes essentiels qui la rendait critiquable à plus d’un égard :
i. le code de travail marocain énumère de manière limitative dans ses articles 16 et 17 les cas dans lesquels un CDD peut être conclu. Ces dispositions ont précisément pour objectif de protéger les salariés en leur garantissant une continuité de l’emploi et en leur offrant la sécurité nécessaire en cas de rupture abusive de leur contrat de travail, leur permettant ainsi de bénéficier d’une indemnisation qui prend en considération leur ancienneté au sein de l’entreprise. Dans le même esprit, les tribunaux considèrent par ailleurs que les contrats conclus pour une durée déterminée mais qui ont fait l’objet de plusieurs prorogations successives sont requalifiés en CDI ;
ii. le législateur marocain érige en principe constitutionnel l’égalité des chances et interdit toute forme de discrimination. Ce principe se retrouve dans les conventions internationales relatives au travail ratifiées par le Royaume du Maroc et est repris à l’article 9 du code de travail marocain. Ainsi, et à défaut d’exception expresse prévue par les articles 16 et 17 du code de travail marocain concernant les travailleurs étrangers, ceux-ci leur sont applicables ;
iii. les dispositions de l’article 516 du code de travail marocain énonce l’obligation d’obtenir une autorisation administrative et ne remet nullement en question la nature même du contrat liant les parties.
La jurisprudence récente de la Cour de cassation a revu sa position sur le sujet et considère désormais et depuis quelque temps que le visa de l’autorité gouvernementale chargée de l’emploi ne peut avoir pour conséquence de requalifier un CDI en CDD (Cass. 1/1336 du 20/10/2020 ; Cass. 623/2 du 22/05/2019 ; Cass. 697 du 24/07/2018, etc.). Ce revirement marque une avancée significative dans la protection des salariés étrangers employés au Maroc et semble plus conforme aux dispositions légales en vigueur.