Suite à l’affaire des « Panama Papers » qui avait mis en exergue l’effet d’écran attaché aux sociétés, des mesures ont été mises en place, indépendamment de tout déclenchement d’un dispositif de lutte anti-blanchiment.
Ainsi, l’article 139 de la loi n°2016-1691, dite « loi Sapin II », du 9 décembre 2016 prévoyait une nouvelle obligation mise à la charge des sociétés et autres entités tenues de s’immatriculer au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), consistant à identifier leurs bénéficiaires effectifs et à communiquer ces informations au greffe du tribunal de commerce. Parallèlement, l'ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016, transposant l'article 30 de la directive 2015/849/UE, prévoyait également une obligation similaire.
Le décret 2017-1094 du 12 juin 2017 clarifie cette double législation et détermine la mise en œuvre de ce nouveau dispositif, désormais uniquement issu de l'ordonnance n°2016-1635. Ce dispositif est donc applicable :
• depuis le 2 août 2017 pour les personnes morales immatriculées pour la première fois au RCS à compter de cette date (la déclaration devant être faite dans les 15 jours à compter de la délivrance du récépissé de dépôt de dossier de création d’entreprise) ; et
• les personnes morales immatriculées au RCS avant le 1er août 2017 disposent quant à elles d'un délai jusqu'au 1er avril 2018 pour se conformer aux obligations du dispositif déclaratif.
Qui est concerné ?
Ce dispositif s’applique uniquement aux entités suivantes :
• toutes sociétés et groupements d’intérêt économique ayant leur siège social en France et jouissant de la personnalité morale,
• toutes sociétés commerciales dont le siège est à l’étranger mais qui disposent d’un établissement en France et
• toutes autres personnes morales dont l’immatriculation au RCS est obligatoire (L561-46 du Code Monétaire et Financier (CMF) renvoyant aux 2°, 3° et 5° du I de l'article L. 123-1 du Code de commerce).
Il convient de noter que la plupart des sociétés cotées sont exclues de ce dispositif (L561-46 CMF).
Que faut-il entendre par bénéficiaire effectif ?
Le décret 2017-1094 du 12 juin 2017 ne précise pas la définition du bénéficiaire effectif. Ainsi, dans l’attente d’un futur décret précisant ce point – lequel devait paraître initialement en novembre 2017 mais ne l’est toujours pas alors que le dispositif est effectif, il convient de se référer aux dispositions du Code Monétaire et Financier.
Le bénéficiaire effectif est la (ou les) personne(s) physique(s) (L561-2-2 CMF) :
1. qui contrôle(nt) en dernier lieu, directement ou indirectement, la société (qui doit remplir le document de déclaration qui sera déposé au greffe compétent) ; ou
2. pour laquelle (lesquelles) une opération est exécutée ou une activité exercée.
Pour chaque société, il faut donc rechercher la (ou les) personne(s) physique(s) qui réponde(nt) à l’une des situations suivantes (R561-1 CMF) :
1. détention directe ou indirecte de plus de 25% de capital ; ou
2. détention directe ou indirecte de plus de 25% des droits de vote ; ou
3. exercice, par tout autre moyen, d’un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration, de direction de la société ou sur l’assemblée générale des associés ou actionnaires. Le décret n° 2017-1094 du 12 juin 2017 ne précisant pas non plus la notion de contrôle ni quelle méthode de calcul de détention directe appliquer en cas de chaîne de contrôle, il convient donc, pour l’heure, de se fonder sur la notion de contrôle dans le Code de commerce (L233-3 I, 3 et 4 Code de commerce), soit :
• une personne physique qui détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société, ou
• une personne physique associée ou actionnaire de cette société et qui dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société.
4. Dans le cas où le bénéficiaire effectif ne peut être identifié selon aucun des critères mentionnés ci-dessus, rien n’est prévu par les textes en vigueur, ni dans le Code Monétaire et Financier, ni dans le décret n° 2017-1094 du 12 juin 2017. Selon l’Association Nationale des Sociétés par Actions (Communication Ansa no 17-020 du 19-6-2017), et la pratique actuelle des Greffes, le bénéficiaire effectif serait, dans ce cas, le représentant légal de la société (toujours si ce représentant est une personne physique). Lorsque ce représentant légal est une personne morale, le bénéficiaire effectif serait le représentant légal de cette dernière (jusqu’à remonter à une personne physique). Il conviendra de vérifier comment le futur décret précisera ce point.
Différents éclaircissements devront donc être apportés par le décret : quelle méthode de calcul de la détention indirecte appliquer en cas de chaîne de contrôle, comment appréhender le cas d’une filiale détenue par une société cotée, elle-même non soumise à cette obligation ?...
Quelles sont les informations à collecter et selon quelles modalités doivent-elles être transmises au RCS ?
Les informations à collecter sont les suivantes :
1. Pour la société :
• dénomination ou raison sociale ;
• forme juridique, adresse de son siège social ;
• et, le cas échéant, le numéro unique d'identification complété par la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.
2. Pour le bénéficiaire effectif :
• nom, nom d'usage, pseudonyme, prénoms, date et lieu de naissance, nationalité, adresse personnelle de la ou des personnes physiques ;
• modalités du contrôle exercé sur la société ;
• date à laquelle la ou les personnes physiques sont devenues le bénéficiaire effectif de la société.
Ces dernières sont regroupées dans un formulaire spécifique téléchargeable sur le site infogreffe, lequel doit être signé par le représentant légal de la Société. Cette formalité n’est pas par ailleurs gratuite (coût environ 50 Euros - A743-10 et A743-11 Code de commerce).
Les entités concernées doivent obtenir et conserver des informations « exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs » (L561-46 CMF) mais également communiquer ces informations au RCS lors de leur immatriculation dans un délai de quinze jours à compter de la délivrance du récépissé de dépôt de dossier de création d'entreprise (R561-55 CMF), puis dans les trente jours suivant tout fait ou acte rendant nécessaire la rectification ou le complément des informations qui sont mentionnées sur le registre des bénéficiaires effectifs (Id.).
Qui aura accès à ces informations ?
Ces informations figurent au registre national du commerce et des sociétés. Les personnes suivantes auront accès à ces informations (L561-46 CMF) :
1. la société ou l'entité juridique ayant déposé la déclaration.
2. sans restriction, les autorités judiciaires, TRACFIN, les administrations fiscales et douanières, l’ACPR et l’AMF, les autorités de contrôle de professions règlementées (notamment, conseil de l'ordre du barreau, chambres des notaires, chambres régionales des huissiers de justice, chambre de discipline des commissaires-priseurs judiciaires).
3. les personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (secteur bancaire ou assurances (L561-2 CMF)).
4. toute autre personne justifiant d'un intérêt légitime et autorisée par le juge commis à la surveillance du RCS auprès duquel est immatriculée la société. Cette demande de communication sera formée par requête auprès du juge qui statuera par ordonnance notifiée au requérant et au bénéficiaire effectif par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette ordonnance est susceptible d'appel (R561-59 CMF).
Quelles sanctions ?
Le Président du tribunal de commerce peut d'office ou sur requête du procureur de la République ou de toute personne justifiant y avoir intérêt, enjoindre, au besoin sous astreinte, la société à procéder à ses obligations déclaratives (L561-48 CMF).
Les sanctions sont les suivantes :
1. ordonnance enjoignant le dépôt de la déclaration sous astreinte (R561-62 et R561-63 CMF).
2. peine d’emprisonnement de 6 mois et amende de 7.500 € d’amende (jusqu’à 37.500 € pour les personnes morales) (L561-49 CMF).
3. peines complémentaires :
o personnes physiques : interdiction de gérer et privation partielle des droits civils et civiques pour les personnes physiques (L561-49 CMF).
o personnes morales : notamment, dissolution, exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus (L561-49 CMF renvoyant aux peines prévues aux 1°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l'article 131-39 du Code pénal).