La lutte contre les pénuries de médicaments figure, cette année encore, parmi les nombreuses dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Alors que les pénuries de médicaments se multiplient, le PLFSS pour 2024 prévoit, à son article 36, une nouvelle mesure pour assurer le maintien des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) « matures » sur le marché français.
Un durcissement des obligations pesant sur les entreprises qui envisagent de suspendre ou de cesser la commercialisation d’un MITM « mature »
Aujourd’hui, le Code de la santé publique exige que les exploitants de MITM qui envisagent de suspendre ou de cesser leur commercialisation informent l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), au moins un an avant la date prévue (ou prévisible) d'arrêt.
Le PLFSS pour 2024 souhaite aller plus loin, en durcissant les obligations qui pèsent sur l’entreprise pharmaceutique qui envisage la suspension ou cessation de commercialisation d’un MITM dit « mature ». Les produits arrivés à maturité sont des médicaments anciens, dont le brevet n'est plus protégé, et qui en pratique présentent une plus faible rentabilité que les nouveaux produits. Or, un rapport du Sénat sur la pénurie de médicaments (en date du 4 juillet 2023) expose qu’entre 60 % et 70 % des déclarations de rupture concernent des médicaments matures dont l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été octroyée il y a plus de dix ans. Il s’agit souvent de médicaments qui demeurent essentiels pour les patients, comme l'amoxicilline ou le paracétamol.
Un processus complexe de recherche d’un repreneur pour l’exploitation du médicament
Dans sa version soumise il y quelques jours en première lecture à l’Assemblée nationale, le PLFSS exige des entreprises pharmaceutiques qui envisageant d'arrêter et de suspendre la vente d'un MITM mature d’entamer toutes les démarches possibles en vue de trouver un repreneur effectif.
En pratique, lorsqu'elles notifient à l'ANSM leur intention d'arrêter la commercialisation, elles doivent spécifier les « incidences prévisibles de la suspension ou cessation de commercialisation sur la couverture des besoins de la population française ». En se basant sur ces informations, si l'ANSM estime que les solutions alternatives disponibles pour le MITM en question ne sont pas suffisantes pour garantir une couverture durable des besoins de la population française, le titulaire de l’AMM sera contraint de rechercher un repreneur pour l'exploitation du médicament.
Si l'entreprise envisage de retenir une offre de reprise, ou dans toute autre circonstance neuf mois après avoir été informée par l'ANSM de la nécessité de chercher un repreneur, elle devra soumettre un rapport détaillé à l'ANSM expliquant toutes les mesures qu’elle a prises et démontrant qu'elle a déployé tous les efforts nécessaires pour identifier un repreneur.
En l’absence de repreneur à la remise du rapport ou au plus tard au terme du délai accordé, l'ANSM peut exiger de l'entreprise qu’elle concède gratuitement les droits d'exploitation et de fabrication du MITM en question pour le marché français à un établissement pharmaceutique détenu par une personne morale de droit public. Cette cession aurait une durée initiale de 2 ans, avec la possibilité de reconduction. Les modalités d’application de ces dispositions doivent être précisées par un décret d’application.
Un régime très contraignant soumis à des sanctions financières
Il s’agit d’un régime très contraignant pour les entreprises puisque l'ANSM a le pouvoir d'infliger des sanctions financières en cas de non-respect de ces obligations.
Le montant de ces sanctions peut atteindre, pour une personne morale, 30 % du chiffre d'affaires réalisé durant l'année précédente pour le MITM en question, dans la limite d’un million d'euros.
Une responsabilité des entreprises pharmaceutiques renforcée dans l’objectif de garantir la disponibilité des médicaments essentiels
L’objectif principal de cette mesure est de garantir la disponibilité continue des médicaments essentiels pour les patients français et d’éviter les ruptures pouvant engendrer de coûteuses importations temporaires. Il n’en demeure pas moins que cette mesure renforce encore une fois la responsabilité des entreprises pharmaceutiques dans un contexte économique très difficile.
Comme indiqué dans le rapport sénatorial susvisé, les mesures de lutte contre les pénuries ne pèsent pas nécessairement uniquement sur les entreprises. En l’occurrence, d’autres mesures pourraient impacter les décisions industrielles d’arrêt de commercialisation des MITM matures, comme par exemple réviser les politiques publiques de prix qui consistent à contrebalancer les prix élevés des molécules innovantes par des prix faibles pour les molécules matures.
L’article 36 du PLFSS prévoit également de donner compétence à l'ANSM pour inclure des spécialités dans la liste des MITM, identification relevant à ce jour exclusivement de la responsabilité des entreprises. Cette décision sera précédée d’une procédure contradictoire dont les modalités sont à ce stade inconnues.
Une évolution à suivre au cours de l’examen du PLFSS par les parlementaires
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 doit être promulguée avant le 31 décembre 2023.
Son contenu va être débattu en séance publique à partir du 24 octobre 2023 et les dispositions de son article 36 peuvent encore évoluer au cours de son examen.